Deux jours autour de Chiang Mai, par Stéphanie

 

 

Hier nous avons décidé sur un coup de tête de partir avec un tour organisé pour un trekking de deux jours dans les alentours de Chiang Mai dans le nord de la Thaïlande.

Avant de partir pour la randonnée, le guide nous dépose à l’entrée d’un village Karen. C’est un village long-neck (femmes girafes) dans lequel la plupart des femmes portent des colliers en spirale qui enserrent leur cou. Au fil du temps elles rajoutent des anneaux. Ces colliers donnent l’impression que leur cou s’allonge.

C’est une communauté dont j’avais entendu parler mais que je ne situais pas en Thaïlande. Les agences proposent l’option visite d’un village karen comme on propose l’option balade à dos d’éléphant. Nous avons hésité avant de prendre cette option. Peur de visiter le village comme on visite un zoo et de regarder des bêtes curieuses. Mais rassurée par la façon dont nous avions vécu les visites de villages traditionnels en Indonésie et les échanges qui avaient pu être établis,  nous avons finalement choisi d’aller voir comment vivait cette communauté.

En fait plus qu’un village c‘est un marché tenu par des femmes « long-neck ». Nous faisons rapidement demi-tour, nous sommes trop mal à l’aise. Les craintes que nous avions  étaient bien fondées. On a presque l’impression d’être entrés dans un zoo. Il n’y a pas d’échange possible. Le guide n’est pas avec nous on ne peut donc pas lui demander de servir d’interprète pour pouvoir parler avec les femmes.  Je ne trouve pas les réponses aux questions que je me posais : pourquoi ces colliers, à partir de quel âge, quand des anneaux sont-ils rajoutés, les effets sur leurs corps, pourquoi certaines en ont aux  genoux. Frustrant et le sentiment d’avoir cautionné

l’exploitation de ces femmes.

On part pour la rando. Cette fois il y a un guide, on devrait donc éviter les mauvais plans et arriver à bon port !!! On part à 12h. Pas  sur que ce soit la meilleure heure par 40°. Mais nous partons plein d’entrain. C’est long très long, ca descend beaucoup et surtout ca remonte beaucoup. La rando est rythmée par les « j’ai soif », « c’est quand qu’on arrive » « j’en ai marre de marcher », mais au bout du compte les enfants ont vraiment bien marché. On passe d’une colline à l’autre aux milieux des cultures sur brulis. Tout est brun, sec, presque désertique. La saison des pluies qui arrive va transformer le paysage. On traverse ensuite une forêt de bambous.

Apres 3h30 de marche, on arrive enfin dans le village ou nous devons passer la nuit.  C’est aussi un village Karen. Nous ne le savions pas et j’espère que le contact que nous aurons va effacer la mauvaise sensation que j’ai ressentie ce matin. Lorsque nous arrivons le village est quasi désert. Seules quelques femmes sont dans le village. Les autres villageois sont au centre d’éléphants où ils sont embauchés.  A partir de 17h le village se met à vivre, les enfants et villageois rentrent. C’est  un petit village. Il n’y a que 3 familles.

Je fais une tentative pour parler à une femme. Mais avec mes deux mots de thaï (bonjour, merci) et ses trois mots d’anglais (100 baths, 150 baths, discount), la conversation est difficile. On arrive juste à se dire qu’elle a deux enfants de 3 et 5 ans et que j’ai trois enfants. J’essaie de faire venir le guide pour qu’il traduise, mais il ne se rend pas dispo. Nouvelle frustration.

De son côté, Candice tente aussi le contact avec les enfants entre jeux dans la forêt et

marelles.  On sent qu’il y a moyen de jouer avec les enfants (r de jeux n’est jamais bien loin, même si depuis un moment notre fil rouge trouve peu d’occasion de s’exprimer) , mais sans le guide nous n’y arriverons pas. Mais il fait à nouveau preuve de peu de bonne volonté et recule le moment de jouer jusqu’à ce que la nuit tombe et qu’on ne puisse plus jouer.

Demain le programme est chargé : visite d’un centre pour éléphants, rafting, mais ca je laisse Candice, Vaïk et Elian vous le raconter.

Je reprends cet article deux jours après cette rando. Le sentiment d’avoir participé à une exploitation n’est pas retombé. Je dirai même qu’il s’est accentué. Effectivement en rentrant, je suis allée sur internet pour essayer de trouver des infos sur ces communautés Karen. Et tout ce qu’on a lu n’est pas glorieux, nous confirme l’exploitation de ces communautés et nous permet de comprendre une partie de ce que nous avons vécu et ressenti dans ces villages.

Ces communautés sont en fait des communautés birmanes qui ont fuit la dictature de leur pays il y a une cinquantaine d’années. Ce sont des refugiés politiques. Ce statut ne leur donne aucun droit : ils n’ont pas de papier d’identité thaï, ils n’ont pas le droit d’exploiter des terres, pas le droit de travailler.

Face à l’intérêt croissant que les touristes, nombreux en Thaïlande, portaient à cette communauté et leur particularité, des agences de voyage se sont emparé du phénomène et on reconstitué des villages. Contre rémunération, ils doivent y  habiter. Les femmes avec leur collier doivent toujours être présentes pour les touristes et ne doivent pas quitter le village. Le guide nous avait effectivement expliqué que chaque famille recevait une rémunération mensuelle de 5000 baths (environ 140 euros)  et que l’agence employait les hommes dans le centre des éléphants.

Dans certains articles, il est expliqué que la tendance est à la perte de cette pratique des colliers. Je me demande jusqu’à quel point les femmes et même la petite fille de 3 ans que l’on a rencontré dans le village sont libres de leurs corps et de choisir  de porter ces colliers. Dans le village en effet 1 seule petite fille sur les 5 qui jouaient avait un collier. La proportion était plus élevée chez les femm

es, mais guère plus.

Alors que penser. Est-ce qu’on a bien fait d’y aller ou aurait-on du s’abstenir ?

J’avoue que je n’ai pas trouvé de réponse toute simple.

D’un côté je me dis que temps que les touristes comme nous irons dans les villages, jamais ces communautés ne pourront retrouver la liberté de vivre comme elle le souhaite, en gardant ou en abandonnant leur tradition selon leur propre choix, elles continueront à vivre en se sentant observées, épiées du fait de leur coutume.

D’un autre côté je me dis qu’en tant que refugié leur avenir est dans des camps, comme près de 130 000 personnes sur la frontiè

re Birmane,  que le minimum qu’on leur apporte leur permet de vivre décemment dans des villages – même si ces villages sont complètement artificiels et créés par les agences de tourisme – et non dans des camps.

Mais cet argument n’est –il pas juste là pour apaiser ma conscience d’avoir joué le jeu des agences en allant dans ce village, en photographiant ces femmes et ces enfants.

Category: Stéphanie
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2 Responses
  1. Véronique & David alias les voisins says:

    on comprend à la fois votre malaise et vos questionnements, peut-être aussi l’impression de s’être fait « berner » par l’agence…
    Cela permet en même temps une vraie réflexion éthique et de remettre à sa juste et belle place la liberté que nous avons la chance de connaître.
    Merci pour ces 2 articles à ce sujet, merci d’être limpides dans ce que vous nous offrez à partager.
    Bises à tous les 5!

  2. famille assier says:

    C triste! Mais il y a plein de mais…pas pour se donner bonne conscience… La vie est ainsi faite : les choses ne sont pas blanches ou noires…on essaie d’apprendre ça y a nos enfants….elles est pleine de nuances…que seraient ces femmes si elles étaient restées en Birmanie, que seraient elles sans les touristes leur apportant un moyen de subsistance… Finalement comme toujours il vaut mieux voir le verre à moitié plein;-)
    Entre les porteurs de souffre et ces femmes, merci de nous faire sortir de nos frontières….
    Bises

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